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Patrick Brosset, seeing light https://www.flickr.com/photos/gnackgnackgnack/3329055230/in/photolist-65bh8Y |
L’exigence républicaine
Recension
de L’idée
républicaine en France (1789-1924) : Essai d’histoire
critique
par Claude Nicolet
Virginia
PELE, politiste. Contact : pelevirginia@gmail.com
"La
République est le régime, et le seul, qui assure et garantisse à
tous la pleine liberté de conscience et la pleine liberté
d'expression (...). Si elle garantit à ses adversaires non seulement
leur existence physique, mais leurs droits imprescriptibles de
citoyens, elle ne peut cependant admettre dans la communion
spirituelle des "républicains" ceux qui ont fait acte
d'allégeance ailleurs. Encore une fois, il ne s'agit pas du contenu
des opinons, mais du renoncement à avoir une opinion à soi. Si l'on
y réfléchit, c'est donc au plus intime de la conscience que passe
cette ligne invisible qui, une fois franchie, détruit et dissout le
lien social que voulait établir la République" – Claude
Nicolet1
Avertissement :
La
présente recension n’est pas un compte-rendu intégral de
l’ouvrage. A la question que pose Claude Nicolet - qu’est-ce
qu’être républicain (ou républicaine)?- il s’agissait de
restituer l’un des thèmes de réponse, c’est-à-dire la portée
morale et institutionnelle de l’idée républicaine. En
conséquence, la continuité idéologique qui peut paraître dans
cette recension est non seulement partielle, mais aussi « fictive »,
puisqu’il n’était pas dans l’intention de l’auteur de
systématiser la pensée républicaine entre le XVIIIème siècle et
le XIXème siècle – simplement d’en saisir l’unité par les
détours réflexifs des savants et des politiques. De plus, par souci
de clarté, les filiations intellectuelles que l’historien tente de
mettre au jour sont ici limitées à quelques auteurs et figures
politiques.
Ainsi, si les
lectrices et les lecteurs souhaitent consulter une présentation plus
générale de l’ouvrage, il est possible de lire HUARD Raymond, La
République Claude Nicolet, L'Idée républicaine en France. Essai
d'histoire critique.
In : Romantisme,
1984, n°45. Paradoxes. p 125-126 :
http://www.persee.fr/doc/roman_0048
8593_1984_num_14_45_4706_t1_0125_0000_1. D’autres
présentations succinctes sont en ligne, comme celle de Germain
Croizier, mais elles ne présentent pas tant d’originalité par
rapport à celle-ci. Par ailleurs, elle a le mérite de préciser
davantage les limites de l’ouvrage.
Aussi, toute
remarque complémentaire ou question est bienvenue en section
commentaire.
Enfin, aux
contemporains qui osent encore opposer l’idée à la pratique,
privilégient la réactivité militante à la délibération
rigoureuse, l’on ne peut que leur souhaiter une bonne lecture.
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Source : http://histoire-bibliophilie.blogspot.fr/2016/07/litalianiste-pierre-louis-ginguene-1748.html. |
L’on peut lire sur cette couverture : « Les
lumières et la morale sont aussi nécessaires au maintien de la
République, que fut le courage pour la conquérir ».
Ce journal a joué un rôle décisif dans la diffusion de l’idée
républicaine, dans les petites villes particulièrement au XIXème
siècle. La science et la morale, certains diront la morale de la
science, constituent les deux principes fondamentaux de la doctrine
républicaine à cette période. Telle est l’originalité
française, et en même temps son universalité : la discipline
intellectuelle stimule ce que les Anciens appelaient la vertu
civique. C’est par l’exercice de la raison que chaque citoyen,
quelle que soit leur condition, construit et maintient la
République ; de même que le cadre républicain est le seul qui
puisse entretenir cette faculté naturelle de la femme et de l’homme.
En tout humour, il serait assez intéressant d’étudier, à
l’instar de Claude Nicolet, la portée de l’idée républicaine
dans le contexte numérique – où la République ne semble réduite
qu’à un simple slogan suivi de hashtags laudateurs ou lapidaires.
J’espèce que ce petit texte permettra de (re)saisir au moins en
partie l’ampleur d’une idée ambitieuse, mais si maltraitée
aujourd’hui.
Préliminaire :
Que reste-il de l’éthique républicaine ?
La citation
d’ouverture énonce clairement en quoi consiste cette éthique.
Ainsi, une réponse immédiate, peut-être hâtive pourrait être :
pas grand-chose. Inutile de rappeler les discours de condamnation ou,
à l’inverse, quelque peu iréniques à la suite des attentats du 7
janvier 2015 à Paris. S’il était scandaleux que l’impertinence
des journalistes athées se résolve par l’assassinat intégriste ;
rien de tout à fait alarmant à ce qu’ils soient par ailleurs
traînés en justice au nom implicite du blasphème et de l’offense
aux croyants. D’autres, plus marginaux, reconnaissaient l’arrogance
des caricaturistes, il ne fallait donc pas s’étonner de cette
réaction violente. Dans les deux cas, le principe mobilisé n’était
pas la laïcité, mais une liberté d’expression plus ou moins
régulée. La sûreté et la liberté d’expression des dissidents
ne pouvaient donc s’entendre que dans l’indifférence, soit de
façon monologique, et l’autocensure.
Penser
librement, aujourd’hui, revient à se trouver pris dans un dilemme
de sécurité : libre de penser tout seul, dans une bulle
aseptisée, sans le moindre échange rigoureux, sauf à courir le
risque de franchir les limites dessinées par les susceptibilités
dévotes ou militantes. C’est qu’il y a des slogans et des
discours prémâchés qui font de la souffrance individuelle le cœur
du débat ; et un débat thérapeutique où il s’agit de faire
tout sourire son autopromotion, ou celui de son association2.
Les conséquences politiques se trouvent alors, par exemple, dans la
consultation par les pouvoirs publics de groupes organisés
prétendant porter la parole des victimes et exigeant réparation
immédiate : le seul principe compassionnel suffit à trancher.
Le pouvoir politique fait proche, il tend l’oreille, en sorte que
seuls les bons sentiments font l’ordre public. Et l’exécutif
peut multiplier les Grâces- totale et partielle- selon les débouchés
médiatiques de revendications faisant valoir « l’humain
d’abord ». L’authenticité du sentiment « humain »,
spontané et primitif, voilà l’éthique d’une citoyenneté
autoréférentielle. Tant pis pour les autres « réactionnaires ».
Ce
faisant, l’éthique républicaine se désagrège. Elle impliquait,
jadis, un pouvoir politique capable d’ordonner la cité, sans pour
autant négliger la capacité réflexive des citoyens. Cette
« liberté de conscience », stimulée par la Culture,
l’école ou l’université, ne renvoyait pas à une liberté
autocentrée (« c’est mon choix ! »), mais elle
s’inscrivait dans une histoire commune, un socle de méthodes et de
connaissances qui permettait à l’individu de se situer dans le
monde dans lequel il vit. Mais la Culture est devenue culture, et
renvoie davantage à des pratiques coutumières qui, en toute
indifférence, devraient trouver droit de cité. Le voile islamique
ne serait donc qu’un bout de tissu (greffe) anodin et les
musulmanes ont bien le droit de pratiquer leur religion comme elles
le souhaitent. Il semblerait que la différence exaltée doive
susciter l’indifférence. Sous l’éclectisme revendiqué se cache
un conformisme exhorté ; tandis que la figuration symbolique de
la société par l’Etat républicain est assimilée à une
tentative autoritaire, colonialiste, ou « …phobe ».
Pourtant, cette figuration symbolique engage à la fois les citoyens
et les gouvernants. La laïcité, en l’occurrence, n’est pas
uniquement un principe formel, mais aussi un principe éthique qui
incite le citoyen à examiner ses propres croyances ; et sa
conduite à l’égard de la Cité. Comme le souligne très bien
Claude Nicolet, le génie de la République française est
d’articuler « le fond et la forme ». Mais alors que
l’égotisme contemporain est justifié au nom de la « démocratie »,
il ne fait qu’approfondir l’écart entre les gouvernants et les
gouvernés. La défiance à l’égard du politique conduit, en
outre, à un morcellement de la société, de sorte que le lien
social se construit seulement par un côtoiement tendu : la paix
sociale est de rigueur jusqu’au prochain soubresaut sentimental
rapporté à l’Etat-thérapeute.
Un mot sur
l’Université, tout de même, puisqu’elle constituait jusqu’à
récemment le haut lieu de l’esprit
républicain.
Comme chacun le sait, depuis les années 1990, les finalités
assignées à l’Université, tournées vers la « nouvelle
économie » de l’innovation permanente, ont modifié non
seulement l’organisation des institutions académiques ; mais
également le rapport entre la science et la société. Il n’est
plus tout à fait concevable que la théorie scientifique s’adresse
à la société ; il ne s’agit plus de soumettre à la
délibération du public les termes de la controverse. Mais la
science de l’innovation intègre l’ « agora »
afin de répondre à la demande sociale. Les scientifiques, et en
particulier en sciences humaines et sociales, sont ainsi tenus de
travailler sur commande ; la théorie ou bien les résultats
d’une enquête sont inopérants dès lors qu’ils ne répondent
pas à un enjeu économique ou politique immédiat. L’expertise
remplace ainsi la recherche, et l’innovation- telle qu’elle est
définie par les tenants postmodernes de l’économie du savoir- se
substitue à l’invention scientifique. Il faut recycler, piocher,
selon les recommandations premières formulées dans le rapport de
l’UNESCO datant de 1998, les problèmes et orientations
potentielles dans le monde de l’entreprise ; tout en adaptant
de la sorte, les offres de formation pour les étudiants3.
Inutile qu’ils parviennent à disserter, penser bien et juste, ils
doivent en fin de cursus seulement être capables de résoudre
efficacement tel ou tel problème très pratique.
En
somme, selon cette idéologie, diffusée par le sociologue Michael
Gibbons (&al.) dans Repenser
la science
(2003) notamment, composé à l’issue du rapport de l’UNESCO
auquel il a participé, l’université constitue un pôle essentiel
de la compétitivité, de sorte que les chercheurs sont tenus de
travailler sur le « mode 2 », c’est-à-dire de façon
interdisciplinaire, plurisectorielle et efficace ; une recherche
durant plus de 3 ans est une hérésie. L’auteur fustige ainsi le
« mode 1 » par lequel le monde académique se serait
extirpé jusqu’à la moitié du XXème siècle du domaine social.
Ce qui est, en passant, tout à fait faux (au sens de non vérifié)
; la recension ci-après ne fera que le confirmer. Mais l’idée
demeure séduisante dans la mesure où l’on prétexte, conformément
au principe néolibéral, la participation du public (les individus
deviennent « acteurs du changement »), la prise en compte
de ses demandes afin de trouver des dispositifs permettant de gérer
toute forme de souffrance, et les risques ; tout en stimulant
l’anti-intellectualisme pathologique en démocratie libérale pour
orchestrer la marche de la société individualisée vers le Progrès,
c’est-à-dire, vers l’adaptation circulaire et permanente à une
économie dérégulée. Ce qui motive suffisamment Michael Gibbons
pour déclarer que « Si
les universités ne s’adaptent pas, on se passera
d’elles
»4.
Concrètement, cela donne le processus de Bologne, la réforme LMD,
la loi LRU et autres réjouissances managériales dans le service
public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
En
retour, au niveau de l’instruction publique, cela signifie que
contrairement à l’ambition des fondateurs, l’effort intellectuel
patient et douloureux par lequel le citoyen forge sa propre
conscience et son caractère laisse place à un consumérisme
culturel (accumulation de crédits ECTS) à partir duquel l’individu
doit être multitâche, actif, réactif et ne surtout pas réfléchir
au sens de ces mutations en menant sa propre enquête. Le
citoyen-entrepreneur doit être « acteur du changement »,
mais pas n’importe comment – de façon grégaire. Et dans cette
société d’entrepreneurs, il n’y a plus qu’à négocier la
science, l’éducation, et le droit. La Cité républicaine se
trouve reconfigurée selon une dynamique sentimentale et réactive.
C’est qu’il faut prendre soin des citoyens-entrepreneurs pour
qu’ils puissent être suffisamment performants dans la production,
quelle que soit sa forme. Et pour se donner un air socialiste, l’on
mettra le revenu universel au programme de la prochaine élection.
Pour apprécier
l’écart de ces mutations idéologiques par rapport au projet
fondateur, et tenter de réfléchir dans les conditions qui sont les
nôtres, il est temps à présent de rendre visite en compagnie de
l’historien Claude Nicolet, aux sociétés savantes du XIXème
siècle.
Immersion
dans le vif de l’idée
Claude Nicolet
était historien spécialisé dans l’étude des institutions
politiques de la Rome antique. En 1976, il publie ainsi l’ouvrage
Le
métier de citoyen dans la Rome antique,
dans lequel il expose non seulement les institutions publiques de la
société romaine – en l’occurrence, les procédures de
recensement des citoyens déterminant leurs droits et devoirs dans la
Cité, ou encore les modalités de l 'activité militaire ;
mais il s’attache également à montrer les conséquences morales
de ces institutions et de ces pratiques sur la perception des
citoyens. Les citoyens de la Rome antique acquièrent une conscience
civique, quelles que soient leurs conditions, par des institutions
communes qui régulent les antagonismes notamment socio-économiques5.
C’est ainsi que dans L’idée
républicaine en France (1789-1924),
ouvrage édité pour la première fois en 1982, l’auteur réinvestit
le thème relatif à la « conscience civique » portée
par les citoyens sous la IIIème République. En effet, les
républicains entendaient durant cette période- où, selon l’auteur,
« l’idée
républicaine a trouvé son expression la plus complète »6
- fonder le pouvoir politique selon une approche positiviste. En
place d’un pouvoir transcendant, la République, en tant que forme
rationnelle, devait assurer l’Ordre et le Progrès ;
c’est-à-dire que le pouvoir politique, tout en s’imposant comme
le Centre du régime, devait veiller à délimiter les conditions
sociales d’application de la réforme, plutôt qu’agir selon des
principes abstraits- qu’ils soient révolutionnaires ou
théologiques. Ce positivisme républicain, en retour, devait de la
même manière stimuler la « conscience »- entendue comme
capacité délibérative intérieure7-
et l’attachement civique des citoyens à la République. Ce lien
politique unissant les citoyens à l’Institution Publique était
donc consolidé par la « raison », alors entretenue par
l’école publique laïque et l’Université. Partant, en dernière
instance, ce fut l’opinion éclairée du peuple qui était censée
administrer la preuve. En cela, Claude Nicolet qualifie le pouvoir
républicain d’instance spirituelle8.
C’est justement la
portée de l’idée républicaine que l’auteur entend examiner,
davantage que les institutions publiques. L’objet est donc de
s’interroger sur la cohérence des idées défendues, et ainsi de
comprendre les logiques qui ont animé l’action des républicains,
savants et politiques, entre le XVIIIème siècle et le XXème
siècle. L’auteur entend dès lors mettre au jour les permanences,
mais aussi les réajustements dont a fait l’objet l’expression
d’une période à l’autre9.
Contrairement à d’autres approches historiques, il ne s’agit pas
de confronter à un socle théorique une réappropriation
institutionnelle ou militante. C’est pourquoi Claude Nicolet n’a
pas constitué son corpus de discours parlementaires, ou de discours
électoraux, voire d’articles de presse où la tâche aurait
consisté à « repérer » les traces d’une idée
politique donnée. L’historien s’intéresse davantage à la
pensée des républicains, soit à la manière dont ces-derniers la
construisent, les représentations qui sous-tendent cette
construction, et les mouvements tant intellectuels, mais aussi
politiques auxquels elle donne lieu. L’ouvrage est ainsi fondé sur
l’étude de revues scientifiques, spécialisées en droit ou en
philosophie notamment, les revues littéraires politiques- dont La
Décade philosophique-
ou encore sur les livres écrits par les républicains occupant des
fonctions politiques comme ceux de Léon Gambetta ou encore Jules
Ferry. En somme, c’est la restitution réflexive et contextuelle de
la pensée républicaine, autant que son unité que l’auteur
s’attache à travailler et montrer.
Dès lors, afin de
mettre au jour ces permanences et réajustements idéologiques ayant
conduit à la République scientifique, entendue à la fois comme un
ensemble d’institutions, mais également comme une morale, ou un
« esprit » civique tourné vers la raison ; il
s’agit de présenter dans un premier temps l’héritage
intellectuel des Lumières mobilisé par les républicains du XIXème
siècle. En l’occurrence, à partir d’une réinterprétation de
l’œuvre de Condorcet, la République est conçue comme le cadre
naturel de l’homme puisque conforme à la Raison. C’est toutefois
confronté à la conjoncture économique et sociale que cet idéal
trouve ses limites. Le suffrage plébiscitaire privilégié par
Napoléon Bonaparte, et le soutien du peuple à l’égard d’un
régime autoritaire conduit, dans un second temps, les républicains
à repenser la République dans une perspective positiviste : en
place d’un individualisme rationnel, c’est la République
scientifique en tant que puissance rationnelle d’ordonnancement qui
est mise en avant, tout en maintenant l’exigence d’un Progrès
susceptible de conquérir l’intelligence du peuple-citoyen.
C’est au
XVIIIème siècle que ce que l’auteur nomme l’« esprit
républicain »
trouve son origine10.
A rebours de la tradition religieuse et monarchique, les
Révolutionnaires entendent fonder un régime déduit de toute
transcendance dogmatique. Pour ce faire, la République, loin du
secret du gouvernement royal, doit être rendue accessible à la
raison humaine ; les décisions doivent être justifiables pour
l’ensemble des citoyens11.
Ce sont alors les œuvres des philosophes des Lumières tels
Voltaire, Montesquieu ou encore Rousseau qui se trouvent mobilisés
par les Révolutionnaires12.
Du dernier, ils retiennent l’assimilation de la Loi à l’expression
de la volonté générale. L’individu rationnel et dès lors
autonome est ainsi tenu, à l’inverse du Prince, de participer à
l’élaboration de la Loi impersonnelle et universelle13.
Mais cet héritage rousseauiste se trouve réinvesti et critiqué par
les républicains au XIXème siècle. Jean Jaurès souligne ainsi la
sévérité de Jean-Jacques Rousseau à l’égard du régime
parlementaire, sans lequel la liberté, l’Ordre et le Progrès –
selon les principes positivistes conduisant les Institutions de la
IIIème République – ne trouvent aucune assise14.
D’après le député philosophe, l’activité parlementaire et le
suffrage universel sont les conditions pratiques garantissant la
justesse et le bien-fondé de la Loi.
C’est ainsi la
philosophie du mathématicien et révolutionnaire Nicolas de
Condorcet qui fait l’objet d’une réappropriation non seulement
philosophique, mais également symbolique par les républicains tout
au long du XIXème siècle. La publication des œuvres de Condorcet
entre le début et le milieu du XIXème siècle ont contribué à
fonder la science positiviste – soit la science de l’Homme dont
les principes ont permis de consolider la République dès 1875.
Plus précisément,
pour l’auteur de l’Esquisse
d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain,
c’est uniquement par la connaissance des lois de la nature que
l’homme (et la femme)15
est en mesure d’agir. Et la connaissance n’est accessible que par
l’exercice de l’une de ses facultés naturelles, c’est-à-dire
la raison. En retour, le progrès de l’esprit
humain correspond
au progrès de la science ; c’est pourquoi Condorcet prévoyait
de la même manière un programme d’Instruction Publique : la
science ou les Lumières devaient être transmises par l’enseignement
et la pédagogie, en sorte que tout citoyen puisse approfondir cette
aptitude rationnelle. C’est alors par l’exercice de la raison que
les dogmes, ainsi que l’« autorité
des ignorants et des intolérants »
pouvaient être dissipés
16.
De même, l’accomplissement technique de la science devait
permettre à l’homme de maîtriser son environnement – qu’il
soit naturel, ou encore politique. Par suite, la science, pour le
mathématicien, devenait susceptible, dans un contexte propice comme
celui de la Révolution française, d’engendrer le progrès non
seulement matériel, mais également intellectuel et moral des
sociétés humaines. C’est ainsi que pour Condorcet, la science est
à la fois moyen d’action et d’émancipation.
Or c’est entre
1801 et 1804 que les premières œuvres de Condorcet sont relayées
par les « Idéologues ». Les Idéologues forment un
groupe de savants qui, entre 1789 et la Monarchie de Juillet, ont
joué un rôle intellectuel décisif. En l’occurrence, à l’an
III est même créée une chaire d’« analyse de
l’entendement », conformément à la doctrine du groupe, à
l’Ecole normale17.
La société savante comprenait autant des médecins, des géographes,
historiens ou encore des philosophes. Leur objectif était
précisément d’élaborer une « science des sciences »
en prenant l’« homme », en tant qu’organisme vivant,
comme objet d’étude18.
Le postulat consistait à soutenir, à la suite de Condorcet, que la
connaissance de l’homme – soit, d’un point de vue biologique,
les mécanismes qui lui permettent de sentir et de penser – pouvait
conduire au progrès de l’Humanité. C’est en connaissant les
mécanismes qui leur permettent de se mouvoir et de penser que les
individus sont en mesure de s’approprier leur environnement social,
c’est-à-dire de raisonner à partir de ce donné, mais aussi de le
changer. C’est ainsi que dans le journal édité par le groupe de
1794 à 1807, intitulé la Décade
philosophique,
Cabanis, beau-frère de Condorcet et médecin, écrit : « La
vraie Métaphysique est en un mot la Science des méthodes ;
méthodes qu’elle fonde sur la connaissance des facultés de
l’homme, et qu’elle approprie à la nature des différents
objets. Or, si le perfectionnement des idées dépend de celui de
l’instruction, le perfectionnement de l’instruction dépend à
son tour de celui des méthodes »19.
En effet, les Idéologues entendaient rendre compte des règles de la
connaissance, des méthodes convenant à chaque champ scientifique –
mais ils avaient également pour objectif de systématiser cet
ensemble de méthodes dans un tout cohérent afin qu’il soit
possible de les déduire les unes des autres : de la science
naturelle, il devenait possible de déduire les principes de la
science politique20.
En cela, Cabanis souligne l’importance de l’Instruction Publique.
Les individu-citoyens doivent être suffisamment éclairés, soit
maîtriser un socle de connaissances et de méthodes pour pouvoir
penser, perfectionner en retour la science ; mais également
pour être en mesure d’élire, dans une République, des
représentants susceptibles de pacifier et gouverner selon la
« droite raison » la nation.
C’est alors qu’au
retour de la Monarchie de Juillet, Condorcet n’est plus simplement
considéré et discuté comme un savant précurseur de l’idée de
Progrès, mais il devient un symbole de la République. En effet,
soucieux de retrouver les fondements de la République après la
Restauration, les républicains effectuent un travail réflexif et
historique en sorte que l’œuvre du philosophe est davantage
diffusée qu’elle ne l’était au début du XIXème siècle21.
C’est Eliza O’connor, fille de Condorcet, ainsi que François
Arago, physicien, qui publient la grande édition des œuvres du
mathématicien22.
A cet égard, Condorcet devient la figure authentique du
républicanisme français sous la IIIème République ; si bien
que Jules
Barni, philosophe et député républicain, précise dans ses
Fragments
inédits sur Condorcet
: « Condorcet
représente l’idée républicaine dans toute sa pureté. Il devient
l’un des législateurs de la République ; il n’en meurt pas
moins plein de foi en son idée qui est celle du progrès de
l’humanité »23.
En 1888, une pétition à l’intention du Conseil municipal de Paris
demande même l’érection d’une statue en l’honneur du
mathématicien en tant que premier de « tous
les grands français »
à avoir assumé l’idée républicaine au XVIIIème siècle24.
La liste des signataires faisait alors apparaître au côté du
Comité républicain radical du sixième arrondissement, des sociétés
positivistes.
Par conséquent, il
s’agit pour les savants républicains du début du XIXème siècle
de justifier la République dans le cadre d’une démarche
scientifique qui place l’ « homme », organisme
vivant et pensant, au centre de l’étude. De la sorte, la liberté
de l’individu n’est plus envisagée d’un point de vue
métaphysique, c’est-à-dire que l’objet n’est pas de
s’interroger sur les causes premières et les fins dernières de
l’homme ou de la nature ; mais de façon pratique :
l’individu-citoyen est en mesure d’agir sur son environnement
uniquement par la connaissance des lois de la nature. En cela, pour
les républicains, la science n’est pas neutre, elle est à même
de guider l’action conformément à la nature rationnelle et donc
morale de l’homme. C’est ainsi uniquement partant d’une volonté
autonome que la République peut être construite ; et
réciproquement, ce n’est qu’en entretenant la liberté et
l’égalité des individus par l’Instruction Publique en
l’occurrence, qu’elle est en mesure d’accomplir et de
perfectionner la nature rationnelle de l’homme25.
Toutefois, en dépit
du travail philosophique et historique mené sous la Monarchie
Constitutionnelle, ce n’est pas au sein d’une « République
de la Raison » que ces idées se trouvent mises en acte. Claude
Nicolet souligne dès lors les limites de l’idée républicaine
dans la seconde moitié du XIXème siècle, puisqu’après son Coup
d’Etat, Napoléon Bonaparte rétablit le suffrage universel de
sorte que les citoyens votent favorablement à un second mandat du
Président de la République lors du plébiscite de 1852. Le peuple
vote ainsi en faveur d’un régime autoritaire qui place le
« Prince-président » au centre de la décision
politique26.
Or, c’est bien selon les principes de la science juridique que la
nouvelle Constitution est élaborée. Ce « Triomphe de la
science » dans le Second Empire, selon le terme de l’historien,
conduit ainsi à un recul du parlementarisme, le nombre de députés
est réduit et ils assument simplement le rôle de conseillers du
Prince ; il en va de même pour les ministres27.
Dans une autre mesure, contrairement à l’expérience monarchique,
le pouvoir n’est pas non plus fondé sur une extériorité
transcendante, mais bien sur la souveraineté de la Nation. Le
plébiscite assurait ainsi un lien direct entre le peuple et le
pouvoir. Les principes prônés par les républicains se trouvaient
donc au service d’une « monocratie » qui assurait sa
légitimité par le suffrage.
Ainsi, alors que
certains républicains, tels Victor Hugo, sont à cette période
contraints à l’exil, d’autres tentent d’investir, au moment où
Napoléon Bonaparte « re-parlementarise » - dans le but
d’atténuer l’opposition libérale notamment- le régime entre
1859 et 1869, l’Assemblée. Ils nouent alors des alliances de
circonstance avec les orléanistes (en faveur de la monarchie) afin
de défendre les libertés parlementaires, ou encore la
décentralisation28 ;
mais ils assurent surtout l’acceptabilité du « républicanisme »
de sorte que les républicains, savants et politiques, sont en mesure
de repenser les raisons du dévoiement impérial du suffrage
universel, ainsi que les conditions d’un enracinement social des
principes républicains29.
A
la fin du Second Empire, c’est alors la science positiviste qui est
appréhendée par les figures telles Léon Gambetta et Jules Ferry,
comme recours pour fonder et consolider la République30.
L’enjeu est alors d’assurer la concordance entre le ‘fond et la
forme’ républicaine – c’est-à-dire que la République est à
la fois envisagée comme cadre institutionnel, mais également comme
cadre spirituel sur lesquels s’ajustent les antagonismes. Comme au
début du XIXème siècle, à la science politique s’associe la
science morale.
Selon la doctrine
positiviste, la science est régie par le régime de l’expérience
et de la preuve. Les protocoles scientifiques doivent ainsi permettre
de quantifier et de produire des résultats « non contraints »
- c’est-à-dire que la « vérité » procède de la
coïncidence entre les faits et les hypothèses ; les résultats,
s’ils sont vrais, s’imposent donc de façon évidente, sans
qu’aucun recours extérieur telle la croyance, ou bien la force
n’interviennent31.
C’est ainsi que pour Auguste Comte, le « désordre du monde »
résulte de l’incapacité des hommes à reconnaître, et se saisir
de ces vérités objectives. De même que le dogme théologique,
autant que démocratique – car la souveraineté du peuple ne peut
pas être prouvée- contribuent au « mal-gouvernement ».
Or, si le pouvoir temporel est toujours légitime par rapport au
pouvoir spirituel, il l’est d’autant plus qu’il assure l’Ordre,
le Progrès, ainsi que la liberté de la recherche32-
quelle que soit, en somme, la forme du gouvernement. A
priori,
la pensée d’Auguste Comte présente quelques incompatibilités
avec l’idée républicaine. Mais il s’agissait pour les
républicains de définir les « conditions positives »
d’un gouvernement républicain. C’est pourquoi la pratique du
suffrage universel se trouve « combinée » avec l’idéal
d’Ordre et de Progrès. Pour éviter tout dévoiement de la masse,
il suffit que le Parti républicain soit un parti de gouvernement,
c’est-à-dire qu’il abandonne son héritage révolutionnaire, sa
« passion du peuple ». Mais, en retour, le gouvernement
de la Raison doit trouver une assise au sein du peuple – il faut
donc l’instruire33.
Dans le cas contraire, cela impliquerait que le bien-fondé du
gouvernement soit imposé par la force, ce qui entre en opposition
avec l’objectivité positiviste.
Cette tension est
justement ce qui oppose les deux tendances républicaines au sein du
Parlement : les « opportunistes », parmi lesquels
Jules Ferry et Léon Gambetta, prônent le changement progressif, la
réforme modérée : conformément à la doctrine positiviste,
il s’agit d’examiner avant d’agir les faits sociaux, afin
d’identifier clairement les problèmes, ainsi que leurs solutions.
Par l’analyse empirique, les républicains positivistes entendent
donc déterminer les conditions d’application des réformes, plutôt
que d’élaborer des mesures partant d’une idéologie abstraite,
et risquer de se heurter à l’appréciation défavorable de
l’opinion34.
A l’inverse, les radicaux ou les « intransigeants »
prévoyaient un changement immédiat, soit une mise en œuvre directe
des principes républicains – quel que soit l’état de l’opinion
et les conditions sociales35.
La République est alors appréhendée, sans davantage de
considérations, comme le meilleur régime contre le despotisme
monarchique et clérical ; les réformes telles la suppression
du Sénat ou la séparation des Eglises et de l’Etat s’imposent
de façon catégorique.
Mais si les
opportunistes veillent à prendre des décisions mesurées et
circonstanciées, ce n’est pas à dire qu’ils ajustent le
changement à l’« état de fait ». Au contraire, la
République est, à l’instar des radicaux, conçue comme le régime
propice au développement de la science et à l’élévation
intellectuelle, mais aussi politique des citoyens. C’est en ce sens
que les républicains assignent à la République une valeur morale.
Pour que les citoyens puissent faire usage de la raison, il faut
qu’ils parviennent à mettre à distance le passé monarchique et
les superstitions. L’opinion commune, en tant que formation
rationnelle, doit être entretenue par la République, et plus
précisément par l’école publique ; sans que cela ne
dispense les gouvernants de justifier, défendre et prouver au peuple
le bien-fondé du régime36.
Ce qui veut dire que le sens du Progrès n’est pas prédéterminé,
il doit être délibéré. C’est pourquoi les opportunistes, en
place d’une hostilité ouverte aux radicaux, entendent faire en
sorte que ces-derniers reconnaissent la légitimité des propositions
positivistes. Selon cette logique, le débat politique n’oppose pas
un groupe politique, par rapport à un autre ; il met en jeu des
propositions soumises au libre examen des députés. Cela signifie
que le thème de la lutte des classes, soulevé par les députés
socialistes, sans être ignoré, n’est pas reconnu par les
républicains positivistes37.
Au sein de la République, aucune classe ne s’oppose
substantiellement à une autre. En l’occurrence, pour Jules Ferry,
au regard du développement industriel, caractérisé par la
technique, la concentration des capitaux et des industries ; il
s’agit précisément de faciliter l’intégration des prolétaires
dans ce mouvement irréversible en organisant, par exemple, leur
pouvoir d’association et de négociation38.
Cette posture ne désarme pas pour autant les débats parlementaires.
Jean Jaurès, intégrant la doctrine marxiste – idéologie
affirmant de même une ambition scientifique- suggère que les
réformes en faveur du prolétariat si elles sont à même de
dépasser la « république
bourgeoise »,
constituent en vérité l’aboutissement du projet républicain.
Ainsi, au mot d’ordre de Jules Ferry
faisant de la République un régime « sans
Dieu, ni roi »,
Jean Jaurès y ajoute : « et
sans patron »39.
La République est donc un cadre institutionnel commun qui articule
les conflits de façon, selon Claude Nicolet, plus ou moins
douloureuse selon les allégeances des députés40.
Reste que seul le vote éclairé des citoyens tranche en dernière
instance.
Par conséquent, si
les sciences expérimentales sont à même d’éclairer les
individus sur les faits et les moyens à mettre en œuvre pour
résoudre un problème public, elles ne peuvent rien indiquer sur les
fins41.
Le positivisme, en l’occurrence, agit sur l’organisation de la
société industrielle, et permet de mettre au jour des recours pour
que l’action des pouvoirs publics puisse être adaptée à la
conjoncture économique42.
Reste que les fins relèvent du domaine politique, et c’est
uniquement en fonction de visées politiques que les moyens peuvent
être envisagés.
L’héritage philosophique de Condorcet est ici mis en avant :
la science est un produit de la raison, ce qui implique que le réel
de l’expérimentation ne fait pas en dernière instance autorité –
mais c’est la raison qui constitue l’étalon moral et politique
de l’individu43.
S’il convient de prendre acte des lois économiques en vigueur dans
une conjoncture particulière, les réformes ne sont pas évaluées
par les citoyens de la seule évidence des faits. Les solutions ne
sont pas immédiates et requièrent une délibération tout autant
rationnelle qui permet de déterminer ce qui relève du souhaitable.
Ainsi que déclare Célestin Bouglé, sociologue et disciple d’Emile
Durkheim : « L’idéal
démocratique ne sort pas des seuls faits relatés par les
observateurs des sociétés où la démocratie se réalise :
bien plutôt il survient au milieu de ces faits, et loin d’être
jugés par eux, en dernière analyse, c’est lui qui les juge »44,
et d’ajouter : « Les
constatations de la science n’éliminent pas ici les choix de la
conscience ».
Ce choix rationnel suppose donc une morale républicaine
scientifique : chaque citoyen doit rigoureusement évaluer les
propositions auxquelles ils sont confrontés ; quitte à amender
et affiner, à terme, les principes républicains. Au moment de la
consolidation du régime, à partir des années 1880, le gouvernement
institue alors l’école publique laïque, les Universités afin,
conformément au principe positiviste, de contribuer au progrès
scientifique et sociale ; ou encore, la liberté de la presse45.
Un cadre jugé propice, à l’instar de Condorcet, au développement
de la raison.
Finalement, Claude
Nicolet parvient à restituer l’unité de l’idée républicaine
tout en l’inscrivant dans le processus discontinue, voire parfois
contradictoire de son élaboration par les savants et les politiques
ayant porté ce projet. L’historien articule ainsi la cohérence
d’une idée politique, à son ancrage historique – à la fois
contextuel, mais aussi réflexif puisque c’est bien la pensée en
mouvement des Idéologues, ou bien des fondateurs que Claude Nicolet
met au jour. C’est ainsi que l’idée républicaine tournée vers
la Raison du début du XIXème siècle se trouve mise à l’épreuve
par la question sociale. Il devient alors possible d’entrevoir
l’émergence d’un positivisme républicain qui « combine »
l’exigence démocratique ; avec celle d’un Ordre public
objectif capable d’ajuster les conflits. L’originalité de
l’ouvrage consiste alors à saisir l’enjeu moral de la
République. L’ « esprit républicain » - notion
pouvant paraître quelque peu vague ou métaphysique- se trouve
pourtant rétabli dans sa portée institutionnelle ; mais aussi
« intérieur »46
étant donné la discipline intellectuelle attendue des citoyens
quelle que soit leur condition. Ainsi, « cette
victoire de l’homme sur l’homme, cette confiance en la raison
exaltée par la justice et corrigée par l’expérience, c’est
tout le risque républicain »47.
En cela, la République scientifique assure la cohérence entre le
fond et la forme. L’auteur, lui-même républicain radical, assume
ainsi un ton engagé48
– tout en restant nuancé- permettant d’insister non seulement
sur la cohérence d’une idée, mais également sur sa spécificité.
Partant, ce qu’il
est intéressant de retenir, au regard des perturbations et
polarisations contemporaines, est le dynamisme de l’idée
républicaine. Les groupes de citoyens autocentrés assimilent la
République à une tradition politique arbitraire et périmée dont
il suffirait de faire table rase. Elle dénoterait un monisme
idéologique qu’il faudrait opposer au pluralisme de la société
désormais « ouverte ». Mais cela évoque mal la logique
républicaine ; puisque tout en assumant la diversité des
positions politiques, il s’agit de stimuler chez les citoyens un
souci commun à l’égard des institutions. Ce fut l’idée
originale des fondateurs pour éviter le risque d’un dévoiement
autoritaire qui avait conduit au Second Empire ; alors que
Napoléon Bonaparte reprenait à son compte les principes
républicains autour de la Souveraineté nationale et du suffrage
universel. L’empereur se positionnait comme seul garant de l’ordre
public contre les désordres de la classe ouvrière. Il rassurait
ainsi les notables et les paysans. Comment ne pas faire le
rapprochement avec un certain parti d’extrême droite qui navigue
sur le morcellement identitaire que nous connaissons pour manipuler à
guise le cadre républicain ? Ce n’est pourtant pas d’une
« modernisation » de la République dont nous avons
besoin ; mais bien d’une réactualisation d’un projet
ambitieux qui engage les citoyens et les gouvernants à faire preuve
de responsabilité, de probité et d’une discipline intellectuelle
telles qu’elles puissent garantir aux prochaines générations un
autre avenir que le tweet, la loi travail, la prostitution « par
choix »49,
le voilisme « par choix », la GPA « par choix »,
ou tout autre servitude volontaire capricieuse.
Citation :
Comme vous le savez,
l’idée du copyleft
ou du
commons,
qui aurait pu être républicaine, s’avère être intégrée à des
pratiques néolibérales de sorte que les multinationales finissent
par se sucrer. Ainsi, dans l’esprit républicain, en place de la
publicité, de la popularité statistique et meute du like,
reconnaissons la contribution numérique et privilégions la
discussion avec les auteurs. Citons en bonne et due forme : PELE
Virginia, « nom du billet », in nom
de la page,
date. Lien.
1
NICOLET Claude, L’idée
républicaine en France (1789-1924),
Paris, Gallimard, 1994 (1er
ed. 1982), p 503-504. L’auteur y inclut l’allégeance aveugle à
des partis.
2
Cf. la récente promotion prosélyte, mais aussi managériale- à
voir sa présentation professionnelle- assurée par Mlle Attika
Trabelsi, entrepreneure et membre du PIR lors de l’« Emission
politique ». A cet égard, GAMITA Christine souligne à juste
titre : « On
leur a constitué tous
droits, payé fac et école laïque des années durant...
la dévote a sa boîte, nous
fait suer à la tévé et prêche de morale, alors qu'elle est la
preuve vivante qu'en rien elle ne serait une musulmane persécutée.
Merci
de la preuve éclatante qui dit que tout est ouvert aux musulmanes
(…). Il
s'agit d'une
nouvelle apparition très lourde, proche des Frères musulmans selon
des journalistes informées et du CCIF, et la sauce financées par
Saphir news - bravo et merci d'inviter, A2 des SM plutôt que des
musulmanes féministes
! Olives au ccif citron encore une fois sur le plateau apéro. »
in « Larmes de perles », Haro
sur les féminicides,
2017 [en ligne]. Consultable à l’adresse :
http://susaufeminicides.blogspot.fr/2017/01/larmes-de-perle.html.
Cet article montre bien le « cadrage » thérapeutique
(la
figure de la victime souffrant des persécutions républicaines)
de la question du voile, et ainsi ce qu’il resterait de l’ethos
républicain.
3
Rapport cité dans MILOT Pierre « La reconfiguration des
universités selon l’OCDE [Economie du savoir et politique de
l’innovation]. In Actes
de la recherche en sciences sociales,
Vol.148, juin 2003, p 70.
4
Ibid.
5
Ces indications sont tirées de ALAIN Michel, « Claude
Nicolet, Le métier de citoyen dans la Rome républicaine »,
in Bulletin
de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité,
n°35, décembre 1976, p 433-435.
6
NICOLET Claude, « Introduction » in Ibid,
p38.
7
C’est ainsi que Claude Nicolet déclare au paragraphe intitulé
« La République intérieure » in Ibid,
p 502 : « Ce
que la République ne peut tolérer, non par fantaisie, mais par
sa nature même,
c’est l’aliénation anticipée de sa liberté de conscience par
un individu au profit d’une quelconque autorité, spirituelle ou
temporelle ».
8
NICOLET Claude, « Idéalisme, positivisme et République »
in Ibid,
p 258.
9
Ibid,
p 35-37.
10
NICOLET Claude, « Les origines lointaines, de la Réforme aux
Lumières »
in
Ibid,
p55.
11
NICOLET Claude, « Questions de méthode : science et
politique » in Ibid,
p289.
12
Ibid,
p 48.
13
Ibid,
p 71.
14
Ibid,
p 74.
15
Pour les personnes choquées par le terme « homme », il
rejoint ici la figure conceptuelle des droits naturels. Je précise
alors que je suis tout à fait favorable à un approfondissement
conceptuel intégrant des prémisses féministes, de la Déclaration
Universelle des droits de l’Homme. Non pas en remplaçant par
« droits humains », lesquels ne veulent rien dire
politiquement, mais comme l’a proposé Christine Gamita, docteure
en ethnologie et auteure du blog, par « Devoirs et droits
universels ». Cela s’inscrit très bien dans l’esprit
républicain.
Cf. « Citoyenne Olympe », Haro
sur les féminicides,
2012 [en ligne]. Consultable à l’adresse :
http://susaufeminicides.blogspot.fr/2012/07/citoyenne-olympe.html
16
Ibid,
p 316.
17
Ibid,
p 75 et p 116.
18
Ici l’ « homme » est bien pris au sens
matérialiste, et par là les Idéologues se distinguent de
l’approche hypothétique de Condorcet. Il s’agit véritablement
du « sujet » pensant, sentant et pris dans son
environnement social. Je n’ai pas vérifié dans le texte le terme
exact qu’emploient les Idéologues ; Claude Nicolet les
désigne indifféremment. Cf. Ibid,
p339.
19
Ibid,
p 118.
20
Ibid,
p 116-117.
21
Ibid,
p 75. Au début du XIXème siècle, les Idéologues étaient parmi
les seuls à se revendiquer « disciples » du
mathématicien.
22
Ibid.
Claude Nicolet souligne ainsi que la réception de l’œuvre de
Condorcet trouve d’autant plus un contexte favorable sous la
Monarchie constitutionnelle que le socialisme, ainsi que les
sciences de l’homme positivistes « se cherchent ».
C’est dans ce mouvement intellectuel que les républicains et les
fondateurs de la IIIème République tentent alors de repenser le
régime républicain.
23
Ibid,
p 76.
24
Ibid,
p 77. La
statue se trouve dans le 6ème arrondissement à Paris.
Vous
pourrez aller visiter.
http://www.paristoric.com/index.php/paris-d-hier/statues/autres-statues/1874-la-statue-de-condorcet
25
Ibid,
p128.
26
En effet, à la suite de la fermeture des ateliers ouvriers en 1848
par crainte de l’influence socialiste- représentée au sein du
gouvernement provisoire au côté des républicains modérés, et
des radicaux- les ouvriers déclenchent une insurrection qui se
trouve réprimée par le « Parti de l’ordre »
soutenant, par ailleurs, la candidature de Napoléon Bonaparte de
1848 à 1851. Ce-dernier justifie en 1852 son coup d’Etat en se
présentant comme le seul chef capable de canaliser la révolte
sociale. Au regard de ce volet historique, les républicains
fondateurs de la IIIème République entendent délimiter un cadre
commun où les conflits sont ordonnés et appréhendés selon les
principes républicains. Par « vote éclairé » est
alors entendu une décision politique intégrant une visée d’ordre
public de la part des citoyens. D’où l’importance de la morale
républicaine et de l’Instruction publique : les citoyens
doivent suffisamment connaître les institutions et les principes
qui les sous-tendent pour pouvoir juger en conscience et maintenir
ce cadre.
27
NICOLET Claude, « L’exil intérieur » in Ibid,
p146-147.
28
Ibid,
p 149.
29
Ibid,
p 152.
30
Ibid,
p 156.
31 NICOLET
Claude, « De la République provisoire à la République
définitive : Gambetta, Littré, Ferry » in Ibid,
p 189.
32
Même pour les républicains tels Léon Gambetta, les sciences de
l’Homme, et plus particulièrement la sociologie constitue une
« science des sciences » au service de l’homme pour
lui permettre de développer ses capacités. Auguste Comte envisage
davantage la science positiviste comme un ensemble de méthodes
permettant de définir objectivement la « bonne société »
- soit l’Ordre social rationnel quelle que soit l’appréciation
de l’individu. Cf.
Ibid,
p 260.
33
Ibid.
34
Ibid,
p 259.
35
Ibid,
p 183.
36
Ibid,
p 258-259.
37
Ibid,
p 252.
38
Ibid,
p 257.
39
NICOLET Claude, “Les fondements de l’idéologie ou la raison
républicaine”
in
Ibid, p472.
40
Ibid,
p 503.
41
Ibid,
p 317.
42
Ibid,
p 257.
43
Ibid,
p 266.
44
Ibid,
p 323.
45
Ibid,
p 492.
46
L’auteur utilise précisément ce terme. Cf. supra.
47
Ibid,
p 502.
48
L’auteur mentionne ainsi dans l’introduction que l’ouvrage est
davantage un essai qu’un livre d’histoire professionnel. L’objet
était de saisir de façon critique le « fond des choses »
plutôt que de systématiser une idée ou d’entrer dans les
détails des événements. Cf. Ibid,
p 42.
49
A cet égard, la loi portant sur la lutte contre le système
prostitutionnel est bienvenue. Cf.
http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/systeme_prostitutionnel_renforcement_lutte.asp
(en français)
RépondreSupprimerL'"amour" serait-il finalement le remède au mal de la société morcelée ?
Tout en confirmant l'introduction sur la désagrégation républicaine, il semble que la Marche des femmes aux Etats-Unis et en France réitèrent les mêmes principes sentimentaux. La sociabilité émotive de la période postmoderne ferait ainsi adhérer tout le monde à la "sororité" qui d'habitude se trouve rejetée. Troublant, non ?
Pas tout à fait. Comme lors des manifestations dès le 11 novembre 2016 aux Etats-Unis, les rassemblements deviennent une assise pour prêcher la pluralité des identités, l'inclusion, le camp du Bien contre ces vieux réactionnaires; tout en laissant de côté la stratégie électorale de Trump, lequel est beaucoup plus libéral que conservateur (a tourné sa veste concernant le Planning familial au moment de la prise de fonctions; mais n'est ni contre la contraception, ni contre l'avortement - ce qui était par ailleurs à l'origine de la méfiance et de l'opposition de ces adversaires du Parti Républicain dès la Primaire). En laissant de côté les détails institutionnels - car l'on peut se demander la pertinence de protester non pas contre une mesure très précise, mais contre l'élection scellée d'un "nouveau tyran" (Madonna, 2017)- le recyclage de vieux imaginaires des sixties un tantinet hippie ("Love Trump's hate". Je reste persuadée que seul Jésus possède cette grandeur d'âme (ironie). Mais se prendre pour le seigneur fait partie de l'individuation contemporaine.)reste assez caractéristique de la tendance "moulon", ou de foule sentimentale telle que la critique très bien Jean-Pierre Le Goff dans son nouvel ouvrage "Malaise dans la démocratie" (2016). Il n'est manifestement pas tout à fait important d'identifier clairement les problèmes et solutions, le but restant de partager des moments forts : concerts, raves, stars présentes lors de la manifestation. Nourriture gratuite, musique plein air, concerts certainement à l'œil selon les Etats - cela a tout l'air d'un bel événement festif et fort vu le nombre de participants. Ainsi, le féminisme entre-soi élargit ses branches vers l'illisible : le planning familial, l'avortement, deux propositions claires qui se mêlent (voir le discours de Michael Moore) à l'injonction identitaire, puisqu'il faudrait, nous a suggéré le réalisateur, davantage de bi, de trans, de musulmans, de femmes (simple identité, rien de plus) au sénat. Parce que l'amour ... Mais personne n'a jugé pertinent, manifestement, de mentionner le choix électoral des jeunes - abstentionnistes ou libertariens ou Green Party - ni ne juge tout à fait opportun peut-être de critiquer le système électoral américain. Il n'y a qu'à piétiné les résultats de la dernière élection en faisant passer le reste de la population pour des vilains, des réactionnaires, des ignorants. Puisque les tenants du Bien ont toujours raison. Et quand on a raison, on peut parler au nom du peuple.
http://www.lexpress.fr/styles/vip/madonna-a-la-women-s-march-etes-vous-prets-a-secouer-le-monde_1871414.html
Discours de Michael Moore : https://www.youtube.com/watch?v=KgduM2kH_DY